Quand la même quantité d’eau sert à la production halieutique et maraichère !

Article : Quand la même quantité d’eau sert à la production halieutique et maraichère !
Crédit: Iwaria
30 août 2021

Quand la même quantité d’eau sert à la production halieutique et maraichère !

L’aquaponie est un écosystème durable pour la production alimentaire qui assemble la culture de plantes et l’élevage de poissons. Cette technique agricole circulaire avec une faible consommation d’eau reste encore inconnue de la grande masse. Elle doit être promue au Bénin et en Afrique. Face aux enjeux du changement climatique et surtout de la pénurie d’eau, la valorisation et le recyclage de l’eau dans ce système est l’une des stratégies de résilience pour les agriculteurs et pisciculteurs africains. Son adoption va permettre de contribuer à une alimentation équilibrée et saine grâce à une agriculture durable. Comment ce système peut-il assurer la sécurité en eau et la résilience climatique ? Chamsou-Dine Baguiri en parle avec quelques experts du domaine.

L’aquaponie est un système innovant qui permet donc plusieurs usages de l’eau. La même ressource permet d’alimenter deux valeurs ajoutées à savoir les poissons dans le bac et les légumes sur la table de semi.

Mieux comprendre l’aquaponie 

Pour l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’aquaponie est la culture des plantes et des animaux aquatiques dans un environnement de recirculation. Il s’agit d’une synergie entre poissons et plantes. Le terme trouve son origine dans deux mots, aquaculture (élevage de poissons dans un bassin) et hydroponie (culture de plantes hors-sol).

Les systèmes aquaponiques sont de dimensions variées : de petites unités d’intérieur aux grandes surfaces commerciales. Il peut s’agir de systèmes d’eau douce ou de systèmes contenant du sel ou de l’eau saumâtre.

L’organisation conclut en soulignant que l’aquaponie est une solution intelligente basée sur les poissons pour produire de la nourriture en utilisant des ressources peu limitées et peu d’eau. Selon les experts et chercheurs du domaine, ce système est très intéressant à plusieurs points de vue. Ils ne manquent pas de donner des arguments pour le prouver.

Le rôle de l’eau dans le fonctionnement de ce système

L’aquaponie ne peut se faire sans la ressource eau. Pour la survie des poissons et des légumes, l’eau joue un rôle capital. Le Professeur Ibrahim Toko est enseignant à la Faculté d’Agronomie de l’université de Parakou. Il est également le directeur du Laboratoire de Recherche en Aquaculture et en Ecotoxicologie aquatique (LaRAEAq). Avec l’appui d’une ONG belge, son laboratoire a été doté de deux systèmes aquaponiques. Après plus de 12 mois de recherche expérimentale avec cette technologie, le spécialiste en aquaculture explique le fonctionnement du système.

« Au départ, les poissons fertilisent l’eau avec leurs rejets. Les nutriments contenus dans l’eau sont ensuite envoyés au potager ou aux plantes, où un autre lien essentiel entre en jeu : les bactéries. Celles-ci transforment l’ammoniac des matières fécales des poissons en nitrates, qui nourrissent les plantes. En pompant les nitrates, les plantes purifient l’eau qui est ensuite renvoyée dans l’étang ou le bac aux poissons grâce à un dispositif de siphonnement ».

Professeur Ibrahim Toko spécialiste en aquaculture.

Cliquez ici pour voir comment fonctionne le système aquaponique.

L’économie et le recyclage de l’eau

L’avantage le plus évident de l’aquaponie est l’économie d’eau du point de vue de plusieurs experts. Étant donné qu’elle est réutilisée en flux constant, on économiserait jusqu’à 95% d’eau en comparaison à des plantes cultivées en terre. Irénikatché Akponikpè est Professeur titulaire en science de l’eau pour l’agriculture à la Faculté d’Agronomie de l’Université de Parakou au Nord-Bénin. Il est expert en réutilisation des eaux usées et adaptation aux changements climatiques.  

Pour lui, la même quantité d’eau mobilisée est utilisée pour alimenter les poissons et les différentes spéculations maraichères. « L’eau est utilisée plusieurs fois pour produire non seulement la matière animale mais aussi celle végétale. Ce système est très intéressant du point de vue économie et environnemental » affirme l’expert en réutilisation des eaux usées.  

Le problème de la pénurie d’eau remédiée

L’une des premières contraintes en Afrique est l’accès à l’eau. Selon le site www.1h2o3.com, la pénurie d’eau touche plus de 40 % de la population mondiale. Dans 22 pays, principalement en Afrique du Nord, en Asie occidentale, centrale et méridionale, le niveau de stress hydrique est supérieur à 70 %.  Ce qui indique une forte probabilité de pénurie future. D’ici 2050, on prévoit qu’au moins une personne sur quatre sera affectée par des pénuries d’eau récurrentes.

Le système aquaponique se révèle comme une solution palliative face à la crise climatique. Pour les chercheurs, c’est en Afrique que ce système trouve toute son importance, explique Irénikatché Akponikpè.

« Le continent Africain est plus touché par les effets pervers du changement climatique. Ces impacts se manifestent surtout par la réduction des précipitations, les sécheresses répétées et le manque d’eau pour les systèmes de production agricole. On note comme conséquence, une diminution de la production agricole et halieutique. Mais avec le système aquaponique, il y a une multiple utilisation de l’eau. L’eau peut-être recyclée ».

Professeur Irénikatché Akponikpè Professeur en science de l’eau pour l’agriculture à l’université de Parakou.

On peut donc produire de l’eau pour plusieurs usages. C’est-à-dire la même quantité d’eau mobilisée peut être utilisée à plusieurs reprises. « Ce qui fait que la pénurie d’eau créée par les phénomènes du changement climatique est résolue ». Les agriculteurs et pisciculteurs du continent africain ont donc beaucoup à gagner en adoptant cette technologie.

Réduction de la pollution environnementale liée à l’aquaculture

Le système aquaponique réduit les pollutions environnementales liées à l’aquaculture. Pour l’avoir expérimenté dans son laboratoire, le Professeur Ibrahim Toko le certifie.

« Généralement, l’aquaculture pollue l’environnement. Lorsqu’on utilise les aliments dans les étangs, ces eaux souillées qui en résultent sont déversées dans les milieux naturels. Ces eaux riches en nitrate et en ammoniac qui sont toxiques créent des problèmes de pollution dans les milieux aquatiques naturels tels que les fleuves et les rivières, peuvent tuer les poissons. Du fait qu’en aquaponie, on arrive à utiliser cette eau remplie de déchets pour produire des légumes, cela limite l’impact de l’aquaculture sur l’environnement ».

Professeur Ibrahim Toko spécialiste en aquaculture.

Pas de produits chimiques mais plutôt d’engrais organiques

L’autre aspect important ce sont les engrais : les nutriments dont les plantes ont besoin. Une fois les poissons alimentés, ces derniers produisent des déjections. Ces déjections qui polluent l’eau, servent d’engrais organiques aux plantes qui croissent rapidement.

« En effet, les eaux polluées du bac des poissons ne sont pas rejetées dans la nature. Ces dernières remontent grâce aux tuyaux de canalisation vers le lit de semi où sont produites les cultures. Les aliments consommés grâce à cette technique sont évidemment bio car il n’y a pas utilisation de produits chimiques sous peine de tuer les poissons. Ces aliments sont donc riches en goût et concourent à la sécurité alimentaire », déclare Ibrahim Toko. C’est dire que les légumes et poissons issus du système aquaponique sont de qualités sanitaires meilleures.

L’aquaponie à adopter à tout prix

Ce système doit être promu car aujourd’hui les sols sont infertiles en raison de l’utilisation abusive d’engrais chimiques. Par ailleurs, c’est une méthode tout à fait adaptée aux petits espaces et aux milieux urbains. Le Professeur Ibrahim Toko justifie :

« Les maraichers dans les grandes villes comme Parakou ont des problèmes d’eau et manquent d’espaces pour leurs cultures maraichères. Ils creusent jusqu’à 1,40 m dans les bas-fonds pour l’arrosage pour pallier le manque d’eau en saison sèche. Mais en utilisant le système aquaponie, ils peuvent produire des légumes en toute saison ».

Professeur Ibrahim Toko spécialiste en aquaculture.

Lire aussi l’agroécologie stratégie d’adaptation au changement climatique

A défaut d’un dispositif de retenue d’eau, l’eau de puits peut aussi alimenter ce système. Comme c’est le cas au Centre d’Innovation de la Fondation Hubi et Vinciane à Parakou. C’est une stratégie efficace de gestion de l’eau du bac qui ne se perd pas. Cette eau qui dans un système circulaire alimente les légumes et les poissons sans aucun préjudice causé à l’environnement.

Un appel à l’endroit des décideurs

Les avantages du système aquaponique ne sont donc plus à démontrer. Ils cadrent avec les cibles 3 et 4 du sixième Objectif de Développement Durable. En résumé, l’aquaponie assure une gestion durable des ressources en eau. Il économise la quantité d’eau, la réutilise et la traite pour qu’elle soit propre pour les poissons.

Le Professeur Ibrahim Toko exhorte tous les pays africains à s’approprier ce système et à l’adopter :

« De nos jours quand on prend tous les documents stratégiques et toutes les options qui se font au niveau national, le système aquaponique en fait partie. Les décideurs au plan national et les autres dirigeants africains doivent vraiment s’investir dans cette forme de production qui est non seulement rentable mais économiquement durable ».

Professeur Ibrahim Toko spécialiste en aquaculture.

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