Avortement dépénalisé : piste pour prévenir mortalité et morbidité féminines en Afrique ?

Article : Avortement dépénalisé : piste pour prévenir mortalité et morbidité féminines en Afrique ?
Crédit: Photo by AMISOM via Iwaria
25 septembre 2022

Avortement dépénalisé : piste pour prévenir mortalité et morbidité féminines en Afrique ?

Les avortements non médicalisés sont l’une des causes de mortalité et de morbidité féminines dans le monde. Selon l’OMS, les estimations relatives au nombre d’avortements en Afrique s’élèvent à 6 millions. Sur ce chiffre, seulement 3 % se font dans des conditions médicalisées et sûres pour les femmes. Parmi les victimes qui finissent par succomber ou souffrir à la longue d’infections graves, de cancer du col de l’utérus ou de stérilité, figurent en grand nombre des adolescentes et jeunes femmes. Pour y remédier, quelques rares pays d’Afrique prennent la résolution de légaliser l’interruption volontaire de grossesses (IVG). Parmi ceux-ci, s’ajoute désormais le Bénin. La légalisation de l’avortement est-elle la solution pour réduire les avortements clandestins et une avancée dans l’accès aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive (DSSR) dans les pays africains ? Chamsou Dine Baguiri répond à cette interrogation dans cet article.

Les Objectifs de Développement Durable (ODD) en matière de santé et de bien-être visent des cibles liées à la santé et aux droits sexuels et reproductifs. La cible 3.1 sous l’objectif 3 de ce programme envisage, d’ici 2030,  de faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 000 naissances vivantes.  Cet objectif semble être un enjeu de taille, surtout en Afrique au regard du nombre d’avortements annuels enregistrés sur le continent.  

L’avortement, un sujet tabou dans nos sociétés africaines

L’OMS définit l’avortement comme une intervention sanitaire simple qui peut être prise en charge de manière efficace par un large éventail d’agents de santé utilisant des médicaments ou par une intervention chirurgicale. L’avortement est sujet dont on évite de parler surtout en présence des adolescents et des jeunes en Afrique. Ce point négligé dans les débats fait partie intégrante des DSSR. Les adolescents et les jeunes n’ont pas accès aux informations fiables liées à la sexualité et de la reproduction comme cela se doit. Ces futures hommes, femmes et parents de demain ne bénéficient pas des conseils à temps, afin d’une prise de conscience pour mener une vie sexuelle plus responsable.

La majorité d’entre eux compris entre la tranche de 15 à 24 ans confient qu’ils sont souvent victimes de « stigmatisation ou subissent des jugements sévères lorsqu’ils vont à la quête d’informations liées à la santé sexuelle et de la reproduction ». Ce sont entre autres pratiques suivies du manque de dialogue parent-enfant qui poussent les jeunes à mener leur vie sexuelle en adoptant des pratiques non recommandées ce qui n’est pas sans conséquence. Ces derniers découvrent certains aspects de la sexualité lorsqu’ils tombent dans le piège des grossesses précoces ou non désirées, résultats des rapports sexuels non protégés.

L’avortement 1er réflexe en cas de grossesse non désirée chez les jeunes

Les résultats d’une recherche qualitative réalisée récemment au Bénin par African Population and Health Research Center, Rutgers et l’Agence Béninoise pour la Promotion de la Famille (ABPF) renseignent que les grossesses non désirées sont estimées à 21,6 millions chaque année en Afrique, et près de quatre sur dix (38 %) se terminent par un avortement provoqué, dont seulement 24% seraient qualifiés de sécurisés.

Au Bénin, entre 2016 et 2020, plus de 9000 cas de grossesses ont été recensés dans les établissements scolaires publics et privés par le Ministère de l’Enseignement Secondaire, de la Formation technique et professionnelle. Après avoir contracté une grossesse non désirée ou précoce, le premier réflexe de certaines jeunes femmes et adolescentes non encore préparées à cette étape de la vie est de faire recours à l’avortement plus précisément l’avortement non médicalisé. Mais ces dernières ne sont toujours pas conscientes que cela peut compromettre leur santé et leur bien-être.

En promenant mon micro à Parakou, N’Dali et Tchaourou des communes du département du Borgou dans le Nord-Bénin, sur 10 adolescents et jeunes interviewés, 8 affirment qu’elles avorteront au cas où elles contractaient une grossesse non désirée quel qu’en soit le prix. Les jeunes garçons eux, disent aussi sans hésitation, qu’ils feront avorter leurs partenaires par tous les moyens. Jeanne est une adolescente de 17 ans déjà  sexuellement active. Elle affirme « mes parents me tueront s’ils apprenaient que je suis en enceinte à mon âge. Ça ne doit même pas se savoir. Je ne sais pas par quel moyen procéder pour avorter mais je le ferai ».

Le sombre tableau des avortements non médicalisés

Les chiffres sur les avortements dans le monde effraient et donnent la chair de pouls. Et ceci malgré l’inexistence des chiffres exacts en raison du fait que plusieurs avortements se font dans la clandestinité donc sous-déclarés. La majorité d’entre eux sont non médicalisés donc à risque. A en croire Véronique Séhier, coprésidente de l’association le planning familial « environ 25 millions d’avortements à risque ont lieu dans le monde chaque année, la plupart dans les pays en développement. Sur ce chiffre, 8 millions d’entre eux ont été pratiqués dans des conditions dangereuses ou très risquées ». Médecins du Monde n’en dira pas moins et ajoute que « toutes les neuf minutes, une femme meurt d’un avortement clandestin ».

D’après une autre étude du Guttmacher Institute datant de 2020, « durant la période de 2015-2019, plus de 6,5 millions de grossesses non désirées ont été recensées en Afrique de l’Ouest », tout particulièrement chez les jeunes filles (15-19 ans). Les résultats de la même enquête rapportent que « huit millions d’avortements ont été pratiqués en Afrique subsaharienne (durant cette même période), dont les trois quarts n’étaient pas sécurisés pouvant entraîner des complications médicales, voire la mort de la femme ».

Au Burkina Faso, 72% des avortements étaient réalisés par un personnel non médical, c’est également le cas pour 63% des avortements au Sénégal. Aujourd’hui encore, les avortements dangereux seraient responsables de 13% de la mortalité maternelle en Afrique. La réalité au Bénin, un pays de l’Afrique de l’Ouest, se situe dans la même cadence à en croire les activistes et ONG œuvrant pour la promotion des DSSR.

Le contexte béninois

Au Bénin, la mortalité maternelle est encore un drame. Les avortements non sécurisés y contribuent pour 20% selon les chiffres du gouvernement. Plusieurs ONG et  activistes militant pour les DSSR au Bénin le confirment.

Ayouba Orou Gounou Guéné est communicateur en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes. Pour l’activiste « les avortements qui tuent le plus souvent sont les avortements pratiqués dans la clandestinité en dehors des formations sanitaires, dans des conditions hygiéniques qui ne garantissent aucune sécurité mettant en danger la vie des victimes. 15 à 20% des cas d’avortement provoqués ou pratiqués dans les mauvaises conditions de sécurité entrainent de centaines de décès maternels ».

C’est dire que les avortements clandestins sont une réalité au Bénin et ceci malgré l’adoption de la loi 2003-04 du 03 Mars 2003 sur la santé sexuelle et de la reproduction. Cette loi autorise les services d’avortement dans trois conditions au Bénin à voir en image.

Malgré la loi, la donne sur les avortements à risque n’a pas changé et prend une tendance effrayante. Dans le contexte du Bénin, les cas de grossesse pour lesquels les femmes expriment un besoin d’interruption ne sont pas autorisés par la loi qui encadre l’avortement. En absence d’un tel service, l’avortement clandestin s’impose comme le dernier recours pour ces femmes qui ne savent plus à quel saint se vouer. Et ceci avec tous les risques que cela implique y compris la mort quand cela est mal fait. Des centaines de femmes perdent la vie en silence chaque année des suites d’avortements compliqués et non sécurisés.

Les ONG et activistes pour la défense des DSSR tirent la sonnette d’alarme. Tous ensemble ont saisi les décideurs pour pallier aux insuffisances de la loi 2003-04 du 03 Mars 2003 sur la santé sexuelle et de la reproduction.

La réaction du gouvernement

Les députés ont procédé le jeudi 21 octobre 2021, au vote de la loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction au Bénin. Pour convaincre les députés, le ministre de la santé Benjamin Hounkpatin a dû longuement argumenter. Il précise que « près de 200 femmes meurent chaque année des suites des complications de l’avortement. Ces pertes en vies humaines concernent souvent des femmes qui sont encore dans la fleur de l’âge ». Le ministre s’appuie sur des exemples accablants pour montrer la nécessité de parer rapidement ce drame.  

« Des images insoutenables de jeunes filles arrivant dans les structures sanitaires, leurs intestins enveloppés dans un pagne, marchant difficilement, infectées totalement du fait du travail de boucher perpétré par des apprentis avorteurs officiant dans les coins de rue..; des images de perforations utérines et autres organes de voisinage, de gangrènes utérines, d’hémorragies foudroyantes, de nécroses vaginales et utérines du fait de pratiques d’auto-avortement à l’aide de tiges, d’aiguille à tricoter, d’utilisation de produits corrosifs ou caustiques pour obtenir l’arrêt coûte que coûte de ces grossesses non désirées, toutes choses se soldant par des décès maternels ou des mutilations ».

Benjamin Hounkpatin, ministre de la santé

Face à la situation, les députés votent et adoptent la légalisation de l’avortement, auparavant interdit sauf circonstances exceptionnelles. Désormais à la demande de la femme enceinte, l’IVG « peut être autorisée » jusqu’à douze semaines « lorsque la grossesse est susceptible d’aggraver ou d’occasionner une situation de détresse matérielle, éducationnelle, professionnelle ou morale ». Le Bénin rejoint ainsi la Tunisie, l’Afrique du Sud, le Cap-Vert et le Mozambique, 4 autres pays africains qui ont légalisé l’IVG.

Quelques blessures irréparables que la légalisation de l’IVG va prévenir

Plusieurs filles et femmes désemparées, de peur d’être jugées et stigmatisées par la société, ont clandestinement fait recours aux structures informelles qui leur ont offert la voie de la mort ou celle des séquelles à vie. Pour le compte de la rédaction de cet article, nous avons conçu un formulaire d’enquête en ligne pour recueillir les perceptions des béninois sur les avortements clandestins et la légalisation de l’IVG.

En dehors du lien du formulaire partagé en ligne, je suis moi-même allé directement vers les personnes sollicitant de leur temps pour répondre aux questions. Lors de mon périple, si certaines personnes se sont montrées hostiles à discuter de la question de l’avortement, d’autres ont accepté répondre aux questions et de surcroît m’ont raconté des expériences vécues.

Figurez-vous, ces témoignages ne sont pas des histoires reluisantes. Je me permets quand même de vous narrer celles qui m’ont le plus marqué. La première histoire se solde par un décès précoce et la seconde par une fistule obstétricale. Toutes les deux conséquences sont dues à la pratique de l’avortement non médicalisé.

Un décès inattendu

C’est avec beaucoup de douleur que le père de la défunte raconte l’histoire de sa fille adoptive. Brillante, intelligente et respectueuse avec une éducation stricte et religieuse, elle devrait avoir 17 ans en 2020 et faire la classe de terminale cette même année. Elle succombe suite à une interruption volontaire de grossesse non médicalisé qui a mal tourné.

 « Elle a contracté une grossesse qui avait environ un mois. Selon les dires de sa camarade qu’il l’a conduit à l’hôpital, elle aurait introduit des gélules qu’elle s’est procurer dans la rue dans sa partie vaginale pour interrompre volontairement la grossesse depuis près de 3 semaines. J’étais à la maison quand on m’a appelé de venir à l’hôpital pour me signaler que ma fille est gravement malade. Une fois sur les lieux, on m’informe qu’elle souffrirait d’une infection car il y a des gélules dans sa partie vaginale qui ont pourrit et qu’il fallait une intervention d’urgence. Malheureusement, les médecins nous annoncent son décès car les gélules dont on ignore les caractéristiques ont entrainé une plaie qui a causé assez de dommages au niveau de l’utérus ».

Père de la défunte

Jusqu’à ce jour, personne ne connait l’auteur de la grossesse dont elle voulait se débarrasser. Le cas de cette adolescente est un exemple parmi tant d’autres. C’est ainsi que plusieurs adolescentes, jeunes filles et femmes du monde, d’Afrique et du Bénin sont mortes des suites d’un avortement clandestin. Les parents s’en veulent de ne pas avoir consacrés plus de temps à l’éducation sexuelle de leur fille qu’ils ne verront plus.

La femme atteinte de fistule

Le second témoignage est celui d’une veuve appelée Valley. La quarantenaire confesse qu’à un moment de sa vie, dos au mur, elle a opté pour l’avortement non médicalisé ce qui lui a laissé des blessures amères. Son mari, elle et leur bébé de 06 mois vivaient dans la précarité. Ironie du sort, son époux décède suite à un accident. Pendant ce temps raconte elle « je n’avais aucune idée que j’avais contracté de nouveau une grossesse ». 

Ma fille avait environ 8 mois et je n’avais aucun soutien de ma famille ainsi que de ma belle-famille.

Valley

6 semaines après, Valley décide d’en parler à l’une de ses amies en espérant qu’elle pourra l’aider à trouver une solution.

« Mon amie m’informe qu’elle avait une connaissance qui pouvait régler le problème. Lors de l’opération, la douleur était insoutenable. Les instruments assez tranchants semblables aux aiguilles de tricotage sont introduits dans ma partie intime. C’était très douloureux. Le lendemain, une hémorragie s’est déclenchée. J’ai dû appeler de l’aide sans avoir le courage de dire ce que j’avais fait. On m’a conduit à l’hôpital. Je m’en suis sorti de justesse mais avec une fistule obstétricale que je trimbale depuis bientôt 10 ans ».

Valley

L’homme ayant pratiqué l’acte a disparu et personne ne l’a revu jusqu’à aujourd’hui révèle-t-elle. Par manque de moyens pour soigner son mal, Valley vit toute seule avec sa fille. « Car à chaque fois qu’un homme s’approche de moi et constate ma maladie, peu de temps après, il prend ses distances et finit par s’en aller ».  C’est ce qui explique le fait qu’elle ne s’est plus remariée.

Lire aussi : L’avortement clandestin, les femmes paient le prix fort

Sauver des vies et non faire la promotion de l’avortement

La loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin n’a pas été votée pour faire l’apologie de l’avortement. Les explications du ministre de la santé Benjamin Hounkpatin lors du point de presse organisé après le vote de la loi, ont été claires sur la question.

 « L’objectif visé par le gouvernement est de sécuriser et encadrer la pratique de l’interruption volontaire de grossesse. En d’autres termes, il s’agit concrètement de permettre à la femme amenée à avoir recours à une IVG pour des raisons précisées par la loi, de le faire dans des conditions qui préservent sa vie. Au-delà de la protection de la santé de la femme qui manifeste le désir d’avorter, c’est toute une batterie de mesures qui est envisagée pour encadrer la pratique qui restera dans tous les cas, un ultime recours ».

Benjamin Hounkpatin, ministre de la santé

Si certaines personnes et les obédiences religieuses voient d’un mauvais œil cette loi, d’autres pensent qu’elle est une avancée dans l’accès aux DSSR. Pour Ramatou Ouedraogo,  experte en santé reproductive dans la parution du journal ‘’The Conversation’’ du 24 novembre 2021 estime que  le Bénin va au-delà du Protocole de Maputo.

Ayouba Orou Gounou Guéné activiste pour les droits en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes fait comprendre que « la décision de passer à un avortement sécurisé n’est pas à prendre à la légère. « Ce n’est pas faire la promotion de l’avortement mais de permettre aux personnes dans le besoin de pouvoir accéder à ce service en toute sécurité ».

Les lois restrictives vont contre les droits de la femme

Les experts des droits de l’ONU recommandent l’avortement sûr et légal. En effet, des études ont démontré que les pays avec les plus faibles taux d’avortement sont ceux où l’accès à l’information est assuré, les méthodes modernes de contraception disponibles, accessibles et l’avortement légalisé. L’exemple de l’Afrique du Sud est édifiant. La loi de 1996 relative au choix en matière d’interruption de grossesse est entrée en vigueur le 1er février 1997 dans ce pays. Des estimations font état de la baisse de décès de femmes par suite de complications liées à l’avortement de 90 % sur une période de 7 ans.

C’est pourquoi le haut-commissariat des droits de l’homme de l’ONU appelle les Etats à travers le monde à abroger les lois et les politiques restrictives sur l’avortement et les obstacles discriminatoires pour accéder aux services sûrs de santé reproductive. Pour ces défenseurs des droits de l’homme, « l’interdiction ne réduit ni la nécessité ni le nombre d’avortements; il ne fait qu’augmenter les risques pour la santé et la vie des femmes et des filles qui ont recours à des services dangereux et illégaux ».

Ils perçoivent également la pénalisation de l’avortement et l’impossibilité d’accéder adéquatement aux services d’interruption de grossesse non désirée comme des formes de discrimination basée sur le sexe. Une législation restrictive qui refuse l’accès à un avortement sans risque représente une atteinte grave aux droits fondamentaux des femmes. Pourquoi ? D’abord « parce que l’avortement est un soin de santé essentiel auquel tout le monde a droit. Ensuite « parce que l’accès à l’avortement et à la contraception est nécessaire pour assurer la justice reproductive pour tous. », certifie Partners for Reproductive Justice (Ipas)

La légalisation de l’IVG en conformité avec l’ODD3

Adopter des lois en conformité avec l’avortement sécurisé, c’est contribuer à l’atteinte de l’ODD3, qui en son point 1, a pour vision d’ici 2030, faire passer le taux mondial de mortalité maternelle au-dessous de 70 pour 100 mille naissances vivantes. Le Bénin en adoptant la loi N° 2021-12 modifiant et complétant la loi 2003-04 du 3 mars 2003 relative à la santé sexuelle et à la reproduction en République du Bénin « s’inscrit dans ce cadre et participe de la préservation de la santé et de la vie de nos jeunes filles, de nos sœurs, de nos épouses et de nos mères » a déclaré le ministre de la santé Benjamin Hounkpatin lors de son point de presse suite au vote de ladite loi.

Quelques résultats issus de l’enquête

Au cours de cette étude mixte qui s’est déroulée du 6 au 16 septembre 2022, il a été question de recueillir les perceptions, les attitudes et les pratiques des béninois sur l’avortement clandestin et la légalisation de l’IVG. Les principales cibles de l’enquête sont les personnes des deux sexes d’au moins 15 ans d’âge et de 45 ans au plus. Le nombre de personnes impliquées dans l’enquête s’élève à n= 62 dont 32 femmes (52%). Les personnes ayant une tranche d’âge comprise entre 25-34 ans sont les plus nombreuses avec 48%. Ensuite, suivent les personnes de 15-24 ans (37%). La plupart sont soit des chrétiens (61%) et des musulmans (37%).  Les enquêtés sont majoritairement des personnes instruites.

En effet, plus de 95% ont un niveau d’instruction universitaire et les autres au moins le niveau secondaire. Ce résultat est en effet dû à la procédure de collecte de données qui est essentiellement par web. Vu que la majeure partie de la population n’est pas instruite, ne dispose pas de téléphones androïdes. Ceux qui en disposent ne maîtrisent pas l’outil mobile surtout la navigation web. 

L’avortement une bonne pratique?

Pour ce qui concerne la question selon laquelle l’avortement est-il une bonne pratique, comme l’illustre le graphique 01, plus de 95 personnes sur 100 estiment que c’est une mauvaise pratique contre seulement 5. Pour ceux qui estiment que l’avortement n’est pas une bonne pratique, ils évoquent comme raison : « La vie est sacrée, chère et très précieuse, personne n’a donc le droit de l’ôter. Ils affirment aussi que l’avortement provoque « des décès maternels et infantiles, la stérilité, la dépression, l’anxiété ».

D’autres aussi déclarent que « l’avortement n’est souvent pas un choix, il est souvent motivé par une imposition de l’entourage et est une solution de dernier recours ». Malgré la divergence qui s’observe autour de la question, certains pensent que l’avortement est parfois une bonne pratique dans certaines conditions, surtout lorsqu’il garantit,  sécurise et sauve la vie de la femme ensuite permet d’éviter certaines maladies à risque.

Qu’est-ce qui peut pousser une fille ou une femme à se faire avorter ?

Les raisons qui pourraient pousser une fille ou une femme à avorter sont décrites par le graphique 02. Au nombre de ces raisons figurent principalement : la grossesse non désirée (94%), viol (87%), le refus du partenaire (81%), grossesse à risque et le refus des parents à accepter la grossesse qui sont respectivement de (74%), l’avenir hypothéqué (71%). Ceux qui pensent qu’une des raisons de l’avortement serait dû au manque de moyen (pauvreté) ne représentent que moins de 8%.

IVG dans un hôpital de référence ou dans un centre informel ?

Pour ce qui concerne le lieu adéquat pour l’IVG,  (85,48%) des enquêtés recommandent un centre de santé ou un hôpital de référence. Par contre (14,52%) pensent, que ce soit dans un centre santé de référence ou non, l’avortement ne devrait pas avoir lieu.

La légalisation de l’avortement sécurisé peut-elle réduire le taux d’avortements clandestins et de décès précoces des femmes et des filles ?

A cette interrogation, 77,42% des répondants soutiennent que les services d’avortement sécurisés se révèlent comme un mécanisme de réduction du taux d’avortements clandestins et de décès précoces des femmes et jeunes filles. Quelques raisons évoquées par ces enquêtés, énumérées dans le paragraphe suivant.

« Réduire le nombre de décès des filles qui sont la plupart des adolescentes par un meilleur suivi ou encadrement de spécialistes dans de bonnes conditions sanitaires. L’idée n’est pas d’encourager l’avortement, mais de protéger les filles et femmes en cas de nécessité, ceci limiterai les risques de décès ». Pour d’autres, « moins de femmes prendront désormais part aux avortements clandestins »

Cependant, 22,58% affirment le contraire. Pour eux l’IVG serait un moyen d’encourager les adolescents à se livrer à plus de vagabondage. 

Solutions proposées par les enquêtés pour lutter contre l’avortement clandestin

Comme l’illustre le graphique 04, pour lutter contre l’avortement clandestin, la majeur partie des enquêtés préconise le dialogue parents-enfants, l’éducation sexuelle des jeunes (92%) et l’utilisation des méthodes de planification familiale (73%) plutôt que l’avortement même quand il est fait par un spécialiste de la santé.

Que retenir ?

Au regard des résultats de notre étude, il ressort que l’avortement est une pratique que beaucoup  n’approuvent pas même avec l’évolution de la société. Cependant, tant que les grossesses non désirées, précoces et non planifiées existent, l’IVG peut se révéler comme un ultime recours si elle est pratiquée dans un hôpital de référence ou une formation sanitaire formelle, pense une bonne partie de nos enquêtés. Toutefois, ils pensent qu’avec l’éducation sexuelle des adolescents et des jeunes, le dialogue parents-enfants et l’adoption des méthodes contraceptives, on peut prévenir les avortements à risque.

Je pense qu’il est toutefois important de signaler que le vote de la loi à lui seul ne suffit pas pour une régression drastique des avortements clandestins et à risque. Certes le ministre de la santé du Bénin Benjamin Hounkpatin rassure que « le gouvernement travaille déjà sur les décrets d’application de la présente loi et annonce que des actions de communication sont programmées dans le but de vulgariser la loi afin que chacun puisse jouir pleinement de ces droits ».

Mais en attendant, le gouvernement doit vraiment s’atteler à poursuivre le travail sur le renforcement de la prévention des grossesses non désirées à travers la planification familiale comme annoncer après le vote et l’adoption de la loi.

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La PF prévention des grossesses non désirées et risques liés à l’avortement

La plupart des femmes et adolescentes qui se font avorter cherchent à résoudre une grossesse non désirée comme l’indiquent les résultats du graphique 2. Le taux de prévalence contraceptive au Bénin est faible. De milliers de femmes qui désirent être sous une méthode moderne de contraception n’y ont pas accès.

De plus, l’offre des services de planification familiale n’est pas équitable à la demande. Priorité est donnée aux couples mariés. Or les besoins non satisfaits en contraception sont deux fois plus importants chez les adolescents sexuellement actifs que chez les femmes mariées : 12,8 millions d’adolescentes ne bénéficient pas des services de planification familiale dont elles ont besoin (rapport Fnuap 2017).

C’est pour inverser la tendance que le Bénin s’aligne à l’initiative mondiale sur la planification familiale FP 2030. L’un des engagements pris par le Bénin étant membre de ce partenariat mondial, est de faire passer le taux de prévalence contraceptive moderne chez toutes les femmes de 11,7 % à 18% en 2026. Un travail adéquat reste à faire pour amener toutes les femmes en âge de procréer ainsi que les jeunes garçons et adultes à comprendre les avantages qu’offre la contraception. « Le challenge, c’est de travailler à éviter au maximum les grossesses non désirées par l’utilisation du préservatif ou l’adoption d’une méthode contraceptive » conseille Ayouba Orou Gounou Guéné aux adolescents et jeunes.

Les formations sanitaires, l’ABPF et les centres de jeunes  »Amour et Vie » sont des structures au Bénin où toute personne peut se rendre pour avoir des conseils en cas d’adoption de méthodes contraceptives. « Le dialogue parents-enfants doit être également de mise » pour mieux orienter les adolescents et les jeunes, ajoute le communicateur en santé sexuelle et reproductive. 

Lire aussi : On en discute : promouvoir le dialogue parent-enfant

Les services de la PF des pays africains ont un grand rôle

Les services compétents de planification familiale des pays africains ne doivent pas se lasser de multiplier et d’intensifier les sensibilisations sur les DSSR dans les formations sanitaires et centres d’écoute et loisirs pour jeunes. L’adoption de cette approche de prévention peut améliorer le taux d’accès de tous à la contraception. Cela pourrait contribuer à maîtriser les grossesses non désirées. Ceci dans le rang des femmes en union et chez les jeunes femmes et adolescentes.

Alors on n’en arrivera pas aux avortements non médicalisés. Ainsi, le personnel médical sera moins confronté à la prise en charge des complications d’avortements qui aboutissent souvent à des mutilations ou des pertes en vies humaines.

En plus de ces aspects, la prestation et la qualité des soins après avortement doivent être améliorées pour réduire la morbidité et la mortalité qui résultent de l’avortement non médicalisé.

Plaidoyer à l’endroit des dirigeants des Etats africains

Les Dirigeants des pays africains à travers les ministères en charge de la santé doivent œuvrer à améliorer l’accès effectif et équitable du taux de contraception dans leurs pays respectifs. Ils ne devraient pas exclure l’accès des services de l’avortement sécurisés. Le statut de ratification du Protocole de Maputo fait état de 52 pays africains ayant signé ou ratifié le Protocole de Maputo. Mais 6 d’entre eux ont des lois en contradiction avec celui-ci, qui ne permettent l’avortement dans aucun des cas. Dans 28 autres pays, l’avortement est autorisé dans certaines circonstances et non toutes celles qui sont énumérées dans ledit Protocole.

Malgré que ces pays ont ratifié le Protocole de Maputo, plusieurs femmes éprouvent des difficultés pour avoir accès à un avortement sécurisé à cause de la lourdeur administrative, l’absence de transposition des termes du Protocole de Maputo dans la législation nationale, mauvaise interprétation et mise en œuvre non conforme du cadre juridique national par certaines structures judiciaires et prestataires de la santé, la stigmatisation et la mauvaise information sur l’avortement. Il faudra que les décideurs puissent changer la donne en conformant leurs systèmes de soins sanitaires aux articles dudit Protocole si celui-ci a été ratifié par le pays.

Il faudra aussi former tous les acteurs du secteur judiciaire chargés de l’application des lois afin qu’ils comprennent le cadre juridique et permettent l’avortement dans tous les cas autorisés par la loi. La formation des professionnels de la santé et le renforcement du plateau technique est aussi indispensable afin qu’ils fournissent des services d’avortement sécurisés dans tous les cas prévus par la loi. Il faudra aussi veiller à ce que les femmes aient accès aux services d’avortement sécurisés sans être victimes de stigmatisation.

Recommandations aux professionnels de la santé

Ayouba Orou Gounou Guéné activiste pour la défense des DSSR recommande aux professionnels du secteur de la santé à faire la clarification des valeurs. « Lorsque les gens viennent solliciter des services d’avortement sécurisés, nous les prions de mettre de côté, le droit à l’objection de conscience, les croyances religieuses et autres pesanteurs socio-culturelles. Il faut qu’ils évitent de stigmatiser et qu’ils se rappellent du serment qu’ils ont prêté qui est celui de sauver des vies et ceci dans le respect de la loi ». Les professionnels du secteur de la santé doivent également veiller au respect du secret professionnel entre médecin et patient. 

Imposer des restrictions sur l’avortement n’empêche pas le recours à cette pratique mais augmente la probabilité que les femmes utilisent des méthodes dangereuses, qui mettent potentiellement en danger leur vie. Dans le cas où l’avortement est autorisé par la loi, il intervient en dernier recours. L’IVG ne sera plus fréquemment pratiquée, mais elle sera effectuée dans des conditions bien plus sûres.

La mise en application de ces quelques recommandations va permettre de contribuer à faire baisser le taux mondial de mortalité et de morbidité des femmes. C’est aussi participer à améliorer le taux d’accès de la pratique contraceptive et assurer la justice reproductive pour tous.

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