12 octobre 2021

Faire le numérique avec Elles une réalité

Le secteur du numérique demeure principalement un monde d’hommes. Une étude de l’Union internationale des télécommunications ITU de l’ONU révèle que le nombre de femmes connectées dans le monde est inférieur de 250 millions au nombre d’hommes connectés. Le Bénin n’en fait pas l’exception. Bon nombre de femmes sont souvent éloignées de tout ce qui est lié au secteur du numérique. La raison de cette situation est simple. Les filles aux collèges ne sont pas souvent orientées vers les activités de cette filière d’avenir. Le constat est encore plus triste lorsque l’on prend l’exemple des filles en milieu péri-urbains et ruraux. Elles n’ont pas accès à internet et autres avantages pouvant faire d’elles des filles de la Génération numérique.

« Génération numérique, notre génération », Rahab Yo Sounou pense qu’elle est de cette génération. Et ceci, depuis depuis qu’elle a suivi l’initiation à l’informatique et à la robotique. L’adolescente de 18 ans réside à Komiguéa, un village de la commune de N’Dali dans le Nord-Bénin. En 2021, elle obtient son baccalauréat série D. Sa curiosité, ses aptitudes aux matières scientifiques et aux TIC, la motivent à faire les sciences.

Elle voulait se faire former en informatique les vacances après son brevet d’étude de Premier Cycle Bepc. « Je voulais suivre une formation en informatique après ma réussite au Bepc. Mais priorité a été donnée à mon frère car papa n’avais pas assez de moyens pour nous deux. Moi je devais aller aider ma mère au marché pendant les vacances », explique Rahab.

Rahab ne conjugue pas au passé son rêve d’apprendre l’informatique.  Mais c’est en 2021 que son vœu se réalise. Elle n’avait jamais touché un ordinateur de surcroit savoir comment l’allumer. Maintenant elle le sait et ne compte plus lâcher prise.  Elle nous narre comment et quand a-t-elle été initiée à l’informatique.

Le camp numérique qui ouvre les yeux de Rahab

C’est à l’occasion d’un camp organisé à l’endroit des meilleurs bacheliers ayant obtenu un bac scientifique des communes de Tchaourou et N’dali que Rahab fait plusieurs découvertes. Elle raconte.

« Nous avons été initié à l’informatique pendant 4 jours. Nous avons appris les composantes de l’ordinateur, comment utiliser les logiciels Microsoft Word, Excel et Powerpoint. On nous a appris à créer des comptes Gmail et comment envoyer des messages. La semaine qui a suivi on a été sensibilisé sur les métiers et opportunités du numérique. Par ailleurs, les formateurs nous ont initiés à la robotique. Ils ont insisté sur le fait que les femmes ont beaucoup à gagner avec le numérique. Il leur suffit d’avoir un ordinateur ».

Rahab Yo Sounon

Ce rassemblement de 3 semaines a ouvert les yeux de l’adolescente. Elle a compris à quel point qu’elle et beaucoup d’autres filles de sa localité étaient en retard sur le numérique. Plusieurs centaines de filles des milieux péri-urbains et ruraux du Bénin sont dans l’ignorance et sont des analphabètes du numérique. Rahab décide d’être une ambassadrice et d’amener les filles de sa localité à s’orienter vers l’apprentissage des TIC.

Rahab Yo Sounon est confiante que les femmes peuvent aussi réussir dans le numérique car « Aurélie Adam Soulé Zoumarou est une femme, c’est mon modèle ». La nouvelle bachelière veut être un jour à l’image de la ministre de l’économie numérique et de la Digitalisation. Elle entend poursuivre ses études dans une filière technique où les femmes se font rares. Elle pense que « si la ministre a réussi c’est que toutes les femmes le peuvent ».

Qu’est-ce qui explique cette faible représentation des femmes ?

Plusieurs raisons expliquent la quasi absence des femmes dans les métiers du numérique. D’abord, elles ne sont pas orientées très tôt vers cette filière. Dans les milieux urbains, un travail se fait dans ce sens en faveur des filles dans les écoles et collèges. Mais en milieu rural, plusieurs facteurs hypothèquent les chances de ces dernières à se réclamer de la génération numérique.

Nous avons entre autres : le manque d’électricité, l’insuffisance de l’internet, la méconnaissance de la kyrielle de jobs qu’offre le numérique. Il faut signaler également le manque d’orientation des filles vers les séries scientifiques et filières porteuses d’avenir liées au numérique.

Pour Bénédicta Aloakinnou, juriste et activiste des droits des filles et femmes, d’autres facteurs expliquent cet état de chose. « Les filles sont réellement à la traine dans ce secteur parce que pendant longtemps, l’accès à un simple téléphone par une fille était perçu comme un luxe. Dans nos communautés où le sexe est un tabou, avoir un téléphone était perçu comme un moyen de débauche, ou un outil inutile qui pourrait constituer la cause de l’échec ».

L’usage des téléphones smartphone par les filles des milieux péri-urbains et ruraux n’a été amélioré ces dernières années où « quelques communautés ont commencé par comprendre l’importance du numérique dans la vie des jeunes » sans discrimination de sexe. Depuis quelques années, le gouvernement et plusieurs Ong œuvrent pour briser les inégalités pour un numérique inclusif.

Points de quelques actions et initiatives en faveur des filles et femmes

La généralisation de l’usage du numérique par l’éducation est une priorité du gouvernement béninois, inscrite dans le Programme d’Actions 2016-2021. Depuis quelques années, les décideurs accordent de l’importance à la problématique des filles dans le secteur des TIC. A l’occasion de la journée internationale des filles dans le secteur des TIC célébrée le 22 avril 2021, Aurélie Adam Soulé Zoumarou a réaffirmé l’engagement du gouvernement pour une autonomisation des femmes.

Par ailleurs la ministre a insisté sur l’approche genre qui caractérise les actions dans le secteur du numérique. «  Nous œuvrons à ce que 50% des jeunes bénéficiaires des formations aux métiers du numérique que nous organisons gratuitement au Learning Lab du ministère du numérique et de la digitalisation soient les femmes ». Cette déclaration est tirée d’un article publié le 23 avril 2021 sur le site du ministère du numérique et de la digitalisation.

Le Bénin Digital Tour, le challenge « Amazone du Digital », sont autant d’initiatives portées par le ministère du numérique qui accorde une place de choix aux jeunes filles et aux jeunes femmes. On note aussi la mise en service de 24 salles multimédias dans quelques établissements du primaire et du secondaire en 2019. 4 salles numériques sont également construites dans les lycées et les établissements des filles à Bembérékè, Parakou et Natitingou.

Ce que font quelques organisations

En dehors des efforts du gouvernement plusieurs organisations de la société civile mènent aussi des actions. Nous avons entre autres ‘’Numérique solidaire’’ de Waxangari Labs dans les collèges et ‘’Le Digital à ma portée’’ dans le Borgou. Cette dernière est une initiative émane de Plan international Bénin. Elle vient en soutien à sa campagne de plaidoyer et d’influence ‘’Aux filles l’Egalité’’.

Ce projet de renforcement de capacités des jeunes dans le numérique a pour objectif de leur permettre de s’exprimer librement et efficacement en ligne. L’association des blogueurs du Bénin met en œuvre ce projet sous le leadership de la jeune fille leader en charge de la campagne Aux Filles l’Egalité en 2020. Cette action a renforcé les capacités des jeunes filles sur le numérique.

A en croire Bénédicta Aloakinnou précédemment en charge de la campagne Aux Filles l’Egalité au Bureau Nord de Plan International Bénin, « 99 jeunes dont 60 filles ont bénéficié des formations sur le numérique dans le Borgou. Les filles des départements du Zou et Ouémé bénéficient aussi de ce projet avec au total 120 filles impactées ». Les filles et femmes des milieux péri-urbains et ruraux doivent recevoir aussi des opportunités du genre.

Lire aussi Formation des jeunes aux métiers du numérique au Bénin

Pour une inclusion numérique effective

La forte représentativité des filles dans les activités au cœur du numérique est un idéal auquel décideurs, acteurs de la société civile et citoyens doivent se battre pour atteindre. Pour rattraper le retard qu’ont les filles dans le secteur, il faut multiplier les opportunités d’accès aux métiers du numérique. L’Etat doit travailler avec ses Ong pour offrir des bourses de formation ou de stage aux élèves dans des entreprises exerçant dans le domaine du numérique. Une stratégie pour motiver les autres filles à travailler et à s’intéresser davantage à la filière. 

Le gouvernement pourrait doter les collèges des milieux ruraux de centres numériques avec un bon débit de connexion internet. Dans ces centres, les jeunes pourront apprendre l’informatique et faire des recherches sur les métiers du numérique.  Bénédicta Aloakinnou préconise « l’ouverture d’une académie numérique dirigée par une femme pour les jeunes filles ayant des idées numériques ».  

La juriste pense que c’est une solution pour faire la promotion des femmes dans le secteur du numérique.

« Ne devons combattre l’idée qu’il faut être fort dans les matières scientifiques pour réussir dans les métiers du numérique », conclut-elle. Ces idées font fuir les filles qui sont réticentes à embrasser ce secteur.  

Les métiers du numérique ne sont pas que pour les scientifiques

Le numérique est un secteur très vaste dans lequel chaque fille peut trouver une opportunité épanouissante. Faire partie de la génération numérique ne demande pas forcément de faire les séries scientifiques. Nous devons travailler à sensibiliser les filles sur le fait que les profils littéraires y ont également leur place.

Les profils littéraires peuvent embrasser les métiers de community manager, rédacteur ou rédactrice web, social média manager, chargée de clientèle. Ou encore les métiers de web designer, manager d’équipe juriste en cyber sécurité, recruteuse ressources humaines de talents numériques. Sans oublier le métier de gestionnaire de projet numérique et autres. Il faut alors faire des sensibilisations et mieux les orienter vers ces métiers en fonction de leurs aptitudes.

Avec de tels efforts conjugués des décideurs et organisations, le secteur du numérique va attirer davantage les filles et les femmes. Le faire, c’est s’inscrire dans la droite ligne de l’ODD 5 qui vise à parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles.

Lire aussi Boom des grossesses post-confinement en milieu scolaire : quelle thérapie pour l’Afrique ?

Partagez

Commentaires