Boom des grossesses post-confinement en milieu scolaire : quelle thérapie pour l’Afrique ?

Article : Boom des grossesses post-confinement en milieu scolaire : quelle thérapie pour l’Afrique ?
Crédit: iwaria
16 septembre 2021

Boom des grossesses post-confinement en milieu scolaire : quelle thérapie pour l’Afrique ?

La pandémie de Covid-19 a des conséquences graves sur les enfants, sur les familles et sur les communautés du monde entier. Cette pandémie a perturbé les secteurs de l’éducation, de la santé, en mettant en danger des millions de vies. Les efforts pour lutter contre la crise sanitaire mondiale ont entraîné des fermetures d’établissements scolaires dans 194 pays, selon l’Unesco. Au nombre de ces pays, figurent plusieurs pays africains. La Fondation Vision du monde publie que cette mesure a affecté 90% des apprenants, en majorité surtout les filles. Nombreuses d’entre elles sont victimes de grossesses non désirées et précoces. Plus de 5 millions d’entre elles risquent de ne pas retrouver les bancs de l’école ajoute la Fondation. La solution durable pour réduire ces cas de grossesses non désirées et précoces : la planification familiale PF. Chamsou-Dine Baguiri fait un état des lieux de la situation au Bénin et propose des approches de solution.

Les impacts de la Covid-19 ne se mesurent pas seulement au nombre de décès. En dehors des autres impacts, on note une augmentation spectaculaire des grossesses précoces et non désirées en milieu scolaire. Une situation qui a fait régresser les progrès réalisés en faveur de la scolarisation des filles.

En effet, 542 filles sont tombées enceintes au nord-Bénin dans le département du Borgou au cours de l’année scolaire 2019-2020. Ces chiffres publiés en décembre 2020 proviennent de la protection de l’enfant de la Direction des enseignements secondaires du Borgou. Les responsables affirment une augmentation significative des grossesses chez les adolescentes. Un constat fait surtout depuis le début des mesures de sécurité annoncées par le gouvernement. Un phénomène accentué par la fermeture des écoles du 30 mars au 10 mai 2020 pendant la crise sanitaire.

Selon Thomas Adam, responsable de la protection de l’enfant de ladite direction, les grossesses enregistrées battent le record de l’année scolaire précédente. Un bilan qui faisait état de 431 filles enceintes.  Pendant ce repos forcé, plusieurs adolescentes ont dû vendre leur corps. Pour pouvoir subvenir à leurs besoins, elles ont accepté les avances des hommes qui ont proposé les aider financièrement.

Au moins 2300 cas de grossesses

La fermeture des écoles pendant la crise favorise la multiplication des grossesses précoces et non désirées, surtout en milieu scolaire. Plusieurs activistes et spécialistes de la planification familiale en Afrique le confirment. Ayouba Orou Gounou Guéné est communicateur en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes au Bénin. Il est aussi le responsable de l’association Barika intervenant dans le même domaine.

L’éducateur à la santé sexuelle et reproductive révèle les résultats d’une enquête réalisée par quelques ambassadeurs de la planification familiale. Elle a été réalisée des mois après la levée des mesures de sécurité.

« Entre 2019 et 2020, au moins 2300 cas de grossesses ont été enregistrés dans les collèges publics et privés. Ces données ont été collectées par les cadres de concertation de la santé sexuelle et reproductive des adolescents et jeunes du Bénin. Pendant la fermeture des écoles sur toute l’étendue du territoire national, les adolescents se sont donnés aux actes sexuels non protégés. Ce qui justifie cette augmentation du taux de grossesse en moins d’un an ».

Ayouba orou Gounou Guéné, communicateur en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes.

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La Covid-19 a hypothéqué l’avenir de plusieurs apprenantes

En octobre 2019, avant l’apparition de la Covid-19 au Bénin, Bana, âgée de 15 ans, commençait la classe de troisième. Elle préparait son brevet d’étude du premier cycle BEPC à Komiguéa. Komiguéa est un village de l’arrondissement de Sirarou dans la commune de N’Dali au Nord-Bénin. L’adolescente orpheline de père, n’avait que sa mère qui la soutenait dans ses études. Elle est maintenant déscolarisée et aide sa maman dans son jardin et pour la vente des produits maraichers au marché. La jeune fille a été exploitée sexuellement par un jeune de sa communauté.

« Il a promis de m’épouser après l’obtention de mon baccalauréat. Il a dit qu’il prendrait en charge mes études après mon BEPC. Je passais la majorité de mon temps chez lui », explique Bana en larmes avec son bébé à califourchon. Le jeune homme s’est servi de ce prétexte pour avoir des relations sexuelles avec elle durant la période de fermeture des écoles.

Le cas de Bana n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Plusieurs adolescentes d’Afrique et du monde sont tombées dans le même piège tendu par la pandémie. Word Vision International, l’un des membres de la Coalition mondiale pour l’éducation de l’UNESCO a publié un nouveau rapport. Ce document met en évidence une augmentation des grossesses chez les adolescentes. Un phénomène accentué par la fermeture des écoles pendant la crise Covid-19. Selon ce rapport, au moins 1 million d’entre elles en Afrique subsaharienne risquent de se retrouver privées d’éducation en raison de grossesses précoces survenues pendant la pandémie Covid-19.

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La PF n’a pas été une priorité pendant le confinement

Dans plusieurs pays africains et au Bénin, la planification familiale n’a pas été une priorité. De nombreuses grossesses non désirées survenues liées au confinement auraient pu être prévenues. Lors du confinement, les services essentiels ont été stoppés, ne garantissant pas ainsi un accès universel à la planification familiale.

Si les services compétents de planification familiale avaient anticipé, multiplié et intensifié les sensibilisations dès le début de la pandémie et pendant le confinement, on aurait pu sauver plusieurs adolescentes. Plusieurs d’entre elles ne pourront plus retourner à l’école et regrettent déjà d’être filles-mères comme Bana. La jeune adolescente pleure presque tout le temps, confie sa mère. Elle avoue les larmes aux yeux qu’elle n’est pas heureuse.

« Je me sens triste et regrette d’être tombée enceinte. Je n’étais pas informée sur les méthodes contraceptives », déclare l’adolescente.

L’explosion démographique due aux naissances après le confinement

Des mois après la levée des mesures de confinement, plusieurs enfants sont nés dans le monde. Des naissances qui viennent gonfler le nombre d’habitants sur Terre. Selon les projections actuelles des Nations Unies, 70 % de la population mondiale sera urbaine d’ici 2050. 90 % de cette urbanisation a lieu en Afrique et en Asie, a ajouté l’Organisation.

Les défis mondiaux tels que la pauvreté urbaine, l’inégalité des sexes, la mortalité maternelle et infantile et les pandémies telles que la Covid-19 ne feront que s’empirer si les villes continuent de croître au même rythme qu’aujourd’hui.

C’est pourquoi, il urge que les décideurs prennent des mesures préventives pour faire face à cet accroissement de la population. Il faudra investir dans le planning familial et la santé reproductive des femmes et des filles. Face à la Covid-19 et ses variantes qui sont devenues plus menaçantes, il faut anticiper sur des stratégies d’adaptation. Avant toute suggestion, je me permets de faire aussi une proposition. Celle-ci pourrait réduire la multiplication des grossesses en milieu scolaire en période de pandémie ou non.

Sensibiliser les parents pour le dialogue parent-enfant

La sexualité est un sujet considéré comme tabou au sein des familles africaines. La méconnaissance de tous ses contours pousse les adolescents à se lancer sur des terrains inconnus. Si certains s’en sortent très bien par chance, d’autres expériences se soldent par un goût amer. L’exemple de Bana est édifiant. La jeune fille affirme que la sexualité est un sujet que sa maman n’a jamais abordé.

« Ma maman et moi n’avions jamais discuté des sujets sur la sexualité. J’en parlais plutôt avec mes camarades de classe filles et garçons ». D’où l’importance du dialogue parent-enfant, insiste Ayouba Orou Gounou Guéné.

« Les parents ne discutent pas avec leurs enfants des sujets relatifs à la santé sexuelle reproductive. Ce qui fait que les adolescents se fient aux informations de la rue qui ne sont souvent pas vraies. C’est au cours des échanges avec les enfant que ceux-ci pourront exprimer leurs préoccupations. Les parents doivent trouver du temps pour discuter avec leurs enfants. Le but est de mieux les orienter sur les questions de santé sexuelle et reproductive. Plusieurs centres dédiés à cela existent. Les parents peuvent aussi accompagner les enfants vers les services de la planification familiale ou de la contraception. Ces services spécialisés donnent des informations fiables ».

Ayouba orou Gounou Guéné, communicateur en santé sexuelle et reproductive des adolescents et des jeunes.

Où avoir les informations fiables au Bénin ?

Au Bénin, les centres Amour et Vie sont des références en matière de conseils en santé reproductive des jeunes. Les jeunes peuvent aussi se rapprocher des antennes de l’Agence Béninoise pour la Promotion de la Famille ABPF pour avoir des informations crédibles.

La plateforme d’information web dénommée « Benbere » promeut également le dialogue parent-enfant. Elle a lancé à cet effet une campagne régionale sur le thème « échanger pour éduquer ». Quatre pays de l’Afrique de l’Ouest participent à cette campagne. Il y a le Mali, le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso.

L’objectif de cette campagne qui se veut aussi digitale appelle les parents à discuter avec leurs enfants sur les sujets relatifs à la sexualité. Les internautes, activistes et associations de blogueurs des pays cités publient des informations en conformité avec l’objectif visé par Benbere.

L’association des blogueurs du Bénin ne reste pas en marge de cette campagne. Plusieurs de ces publications pour remédier au manque du dialogue parent-enfant envahissent la toile avec le hashtag #OnEndiscute .

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Sensibiliser à travers les canaux digitaux

Par ailleurs, le gouvernement peut aussi prendre des dispositions exceptionnelles en cas de fermeture des écoles. Celles-ci consistent à occuper les enfants autrement pendant le confinement. Ces derniers peuvent les intéresser à certaines activités professionnelles et ludiques. Il y a la couture, la fabrication et réparation des chaussures, la fabrication des colliers, l’initiation à l’informatique, aux métiers du numérique, la réparation des téléphones mobiles, ordinateurs, jeux vidéo et cérébraux.

Certains de ces programmes parallèles aux cours scolaires en cas de confinement peuvent passer par les antennes des radios, télévisions ou être diffusés à travers des canaux digitaux de communication.

En période non pandémique, les classes culturelles et sportives dans les collèges et lycées au Bénin peuvent servir aussi à l’animation des cours en éducation sexuelle. Ces séances éducationnelles peuvent prendre la forme des sketchs, des contes, poèmes, dessins animés, podcasts, capsules vidéo et autres.

La PF à intégrer à tout prix dans les plans de riposte Covid-19

Le Partenariat de Ouagadougou a pris des mesures pour prévenir les grossesses non désirées en période de crise sanitaire. Il a mis à disposition de ses pays partenaires des documents. Il a évoqué des conseils sur le changement social et de comportements pour la planification familiale pendant le Covid-19. Ces pays doivent prendre connaissance de ce document stratégique et le mettre en application. La vulgarisation de ces bonnes pratiques avec tous les acteurs concernés permettra l’atteinte des objectifs en matière de santé reproductive.

Enfin, les experts en santé de reproduction devraient penser à un programme « Zéro grossesse non désirée en temps de crise ». Il faut donc œuvrer à l’intégration de ce programme dans les plans de riposte contre le coronavirus. La prise en compte des services essentiels de santé y compris la planification familiale dans les documents stratégiques de lutte contre le coronavirus est indispensable.

Avec la résurgence de la pandémie, les dirigeants pourraient opter de nouveau pour un confinement. Pour cela, investir dans la planification familiale est la meilleure stratégie. Les décideurs vont devoir mettre la planification familiale au premier rang de leur préoccupation afin d’éviter le pire.

Le faire, c’est aider les filles à rester à l’école. C’est atteindre progressivement les objectifs de développement durable. Pour réussir ce combat, les autorités compétentes doivent intensifier les efforts pour un accès pour tous à la planification familiale.

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« Le préservatif est la méthode la plus simple à utiliser », rappelle Ayouba Orou Gounou Guéné, communicateur en santé sexuelle. Son usage chaque fois pendant chaque rapport sexuel protège des grossesses non désirées en temps de crise pandémique ou non.

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