L’aquaponie : une solution durable pour gérer la ressource eau dans un contexte de crise climatique

Article : L’aquaponie : une solution durable pour gérer la ressource eau dans un contexte de crise climatique
Crédit: Iwaria
10 septembre 2022

L’aquaponie : une solution durable pour gérer la ressource eau dans un contexte de crise climatique

L’aquaponie est un écosystème durable pour la production alimentaire qui assemble la culture de plantes et l’élevage de poissons. Cette technique agricole circulaire avec une faible consommation d’eau reste encore inconnue de la grande masse. Elle doit être promue au Bénin et en Afrique. Aux dires de plusieurs experts et chercheurs, la valorisation et le recyclage de l’eau dans ce système sont l’une des stratégies de résilience pour les agriculteurs et pisciculteurs africains. Son adoption va permettre de contribuer à une alimentation équilibrée et saine grâce à une agriculture durable. Comment ce système peut-il assurer la sécurité en eau et la résilience climatique ? Chamsou-Dine Baguiri en parle avec quelques experts du domaine.

L’aquaponie est un système innovant qui permet plusieurs usages de l’eau. La même ressource permet d’alimenter deux valeurs ajoutées à savoir les poissons dans le bac et les légumes sur la table de semi. Pour l’organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), l’aquaponie est la culture des plantes et des animaux aquatiques dans un environnement de recirculation. Il s’agit d’une synergie entre poissons et plantes. Le terme trouve son origine dans deux mots, aquaculture (élevage de poissons dans un bassin) et hydroponie (culture de plantes hors-sol). Les systèmes aquaponiques sont de dimensions variées : de petites unités d’intérieur aux grandes surfaces commerciales.

L’Organisation ajoute en soulignant que l’aquaponie est une solution intelligente basée sur les poissons pour produire de la nourriture en utilisant des ressources peu limitées et peu d’eau. Selon les chercheurs et experts du domaine, ce système est très intéressant à plusieurs points de vue. Ils ne manquent pas de donner des arguments pour le prouver.

Le rôle de l’eau dans le fonctionnement de ce système

Rôle de l’eau dans le système aquaponique
Photo de www.aquaponie.fr

L’aquaponie ne peut se faire sans la ressource eau. Pour la survie des poissons et des légumes, l’eau joue un rôle capital. Le Professeur Ibrahim Toko est enseignant à la Faculté d’Agronomie de l’université de Parakou. Il est également le directeur du Laboratoire de Recherche en Aquaculture et en Ecotoxicologie aquatique (LaRAEAq). Avec l’appui d’une ONG belge, son laboratoire a été doté de deux systèmes aquaponiques. Après plus de 16 mois de recherches expérimentales avec cette technologie, le spécialiste en aquaculture explique le fonctionnement du système.

« Au départ, les poissons fertilisent l’eau avec leurs rejets. Les nutriments contenus dans l’eau sont ensuite envoyés au potager ou aux plantes, où un autre lien essentiel entre en jeu : les bactéries. Celles-ci transforment l’ammoniac des matières fécales des poissons en nitrates, qui nourrissent les plantes. En pompant les nitrates, les plantes purifient l’eau qui est ensuite renvoyée dans l’étang ou le bac aux poissons grâce à un dispositif de siphonnement ».

Professeur Ibrahim Toko, spécialiste en aquaculture

L’économie et le recyclage de l’eau

L’avantage le plus évident de l’aquaponie est l’économie d’eau du point de vue de plusieurs experts. Selon Aïda Diongue-Niang, autrice principale du groupe de travail 1 du GIEC, lors de l’atelier pour journalistes Dakar d’août 2022 sur les enjeux de l’eau, déclare « l’adaptation liée à l’eau se produit dans tous les secteurs, et en particulier dans l’agriculture, qui est le secteur qui consomme le plus d’eau ». Étant donné que l’eau dans le système aquaponie est réutilisée en flux constant, on économiserait jusqu’à 95% d’eau en comparaison à des plantes cultivées en terre.

Irénikatché Akponikpè est Professeur titulaire en science de l’eau pour l’agriculture à la Faculté d’Agronomie de l’Université de Parakou au Nord-Bénin. Il est expert en réutilisation des eaux usées et adaptation aux changements climatiques.  

Pour lui, la même quantité d’eau mobilisée est utilisée pour alimenter les poissons et les différentes spéculations maraîchères. « L’eau est utilisée plusieurs fois pour produire non seulement la matière animale mais aussi celle végétale. Ce système est très intéressant du point de vue économie et environnemental » affirme l’expert en réutilisation des eaux usées.  

Le problème de la pénurie d’eau remédiée

Le sixième rapport du GIEC sur les enjeux de l’eau indique que le changement climatique a affecté toutes les composantes du cycle de l’eau, et tous les secteurs d’utilisation de l’eau dans toutes les régions, la plupart des impacts sont négatifs. L’une des premières conséquences en Afrique est l’accès difficile à l’eau. Selon le site www.1h2o3.com, la pénurie d’eau touche plus de 40 % de la population mondiale. Dans 22 pays, principalement en Afrique du Nord, en Asie occidentale, centrale et méridionale, le niveau de stress hydrique est supérieur à 70 %.

Le Dr Aïda Diongue-Niang du GIEC, n’a pas manqué de le rappeler lors du forum sur les enjeux de l’eau de mars 2022 à Dakar que « l’impact du changement climatique sur les ressources en eau en Afrique sont déjà très visibles ». Une situation qui indique une forte probabilité de pénurie future. D’ici 2050, on prévoit qu’au moins une personne sur quatre sera affectée par des pénuries d’eau récurrentes.

L’autre contrainte à laquelle l’Afrique est confrontée est le problème d’urbanisation suivi de la croissance démographique. La grosse conséquence est l’insuffisance progressive des espaces à exploiter par les producteurs. Face à ce double défi à savoir la raréfaction de la ressource eau et l’augmentation de la demande liée, entre autres, au phénomène d’urbanisation du continent, il devient primordial de trouver des solutions pérennes comme l’aquaponie. Ce système se révèle comme la solution palliative à plusieurs problèmes engendrés  par la crise climatique. Pour les chercheurs, c’est en Afrique que ce système trouve toute son importance, explique Irénikatché Akponikpè.

« Le continent Africain est plus touché par les effets pervers du changement climatique. Ces impacts se manifestent surtout par la réduction des précipitations, les sécheresses répétées et le manque d’eau pour les systèmes de production agricole. On note comme conséquence, une diminution de la production agricole et halieutique. Mais avec le système aquaponique, il y a une multiple utilisation de l’eau. L’eau peut-être recyclée ».

Irénikatché Akponikpè, Professeur en sciences de l’eau pour l’agriculture à l’Université de Parakou

L’eau peut servir à plusieurs fins. C’est-à-dire la même quantité d’eau mobilisée peut être utilisée à plusieurs reprises. « Ce qui fait que la pénurie d’eau créée par les impacts du changement climatique peut être est résolu ». C’est une façon efficience « d’apprendre à gérer la ressource eau dans un contexte de plus en plus compliqué » renchérit Dr Aïda Diongue-Niang du GIEC. Les agriculteurs et pisciculteurs du continent africain ont donc beaucoup à gagner en adoptant cette technologie.

Réduction de la pollution environnementale liée à l’aquaculture

Bac à poisson d’un système aquaponie à Parakou
Crédit photo Chamsou-Dine Baguiri

Le système aquaponique réduit les pollutions environnementales liées à l’aquaculture. Pour l’avoir expérimenté dans son laboratoire, le Professeur Ibrahim Toko le certifie.

« Généralement, l’aquaculture pollue l’environnement. Lorsqu’on utilise les aliments dans les étangs, ces eaux souillées qui en résultent sont déversées dans les milieux naturels. Ces eaux riches en nitrate et en ammoniac qui sont toxiques créent des problèmes de pollution dans les milieux aquatiques naturels tels que les fleuves et les rivières, peuvent tuer les poissons. Du fait qu’en aquaponie, on arrive à utiliser cette eau remplie de déchets pour produire des légumes, cela limite l’impact de l’aquaculture sur l’environnement ».

Professeur Ibrahim Toko, spécialiste en aquaculture

Pas de produits chimiques mais plutôt d’engrais organiques

L’autre aspect important ce sont les engrais : les nutriments dont les plantes ont besoin. Une fois les poissons alimentés, ces derniers produisent des déjections. Ces déjections qui polluent l’eau, servent d’engrais organiques aux plantes qui croissent rapidement.

« En effet, les eaux polluées du bac des poissons ne sont pas rejetées dans la nature. Ces dernières remontent grâce aux tuyaux de canalisation vers le lit de semis où sont produites les cultures. Les aliments consommés grâce à cette technique sont évidemment naturels car il n’y a pas utilisation de produits chimiques sous peine de tuer les poissons. Ces aliments sont donc riches en goût et concourent à la sécurité alimentaire », confirme Ibrahim Toko. C’est dire que les légumes et poissons issus du système aquaponique sont de qualités sanitaires meilleures.

Lors de l’atelier pour journalistes Dakar 2022 sur les enjeux de l’eau, « l’augmentation des infrastructures de stockage et de dérivation de l’eau, l’utilisation des pratiques favorisant l’économie d’eau, le traitement et la réutilisation des eaux usées, l’amélioration de la gestion des infrastructures hydro-agricoles, l’accroissement de la productivité de l’eau en intégrant de multiples usages y compris bétail et pêche » sont entre autres recommandations faites par Dr Boubacar Barry, PhD. PE. IWMI- Emeritus Scientist pour relever les défis de la sécurité alimentaire en Afrique. Outre ces perspectives, l’aquaponie apparaît aussi comme l’une des solutions pour produire des légumes sains et naturels sans aucun risque sur la santé des consommateurs.   

L’aquaponie à adopter à tout prix

Système aquaponie
Crédit photo Chamsou-Dine Baguiri

Ce système doit être promu car aujourd’hui les sols sont infertiles en raison de l’utilisation abusive d’engrais chimiques. Par ailleurs, c’est une méthode tout à fait adaptée aux petits espaces et aux milieux urbains. Le Professeur Ibrahim Toko justifie :

« Les maraîchers dans les grandes villes comme Parakou troisième ville à statut particulier du Bénin ont des problèmes d’eau et manquent d’espaces pour leurs cultures maraîchères. Ils creusent jusqu’à 1,40 m dans les bas-fonds pour l’arrosage et pour pallier le manque d’eau en saison sèche. Mais en utilisant le système aquaponie, ils peuvent produire des légumes en toute saison ».

Professeur Ibrahim Toko, spécialiste en aquaculture

A défaut d’un dispositif de retenue d’eau, l’eau de puits peut aussi alimenter ce système. Comme c’est le cas au centre d’Innovation de la Fondation Hubi et Vinciane à Parakou. C’est une stratégie efficace de gestion de l’eau du bac qui ne se perd pas. Cette eau qui dans un système circulaire alimente les légumes et les poissons sans aucun préjudice causé à l’environnement.

Un appel à l’endroit des décideurs

Les avantages du système aquaponique ne sont donc plus à démontrer. Ils cadrent avec les cibles 3 et 4 du sixième Objectif de Développement Durable. En résumé, l’aquaponie assure une gestion durable des ressources en eau. Il économise la quantité d’eau, la réutilise et la traite pour qu’elle soit propre pour les poissons.

Le Professeur Ibrahim Toko exhorte tous les pays africains à s’approprier ce système et à l’adopter :

« De nos jours quand on prend tous les documents stratégiques et toutes les options qui se font au niveau national, le système aquaponique en fait partie. Les décideurs au plan national et les autres dirigeants africains doivent vraiment s’investir dans cette forme de production qui est non seulement rentable mais économiquement durable ».

Professeur Ibrahim Toko, spécialiste en aquaculture
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