Espace CEDEAO : la libre circulation, c’est du bluff

Article : Espace CEDEAO : la libre circulation, c’est du bluff
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5 avril 2021

Espace CEDEAO : la libre circulation, c’est du bluff

Les textes qui régissent le fonctionnement de la CEDEAO garantissant la libre circulation des personnes et des biens dans tous les pays engagés ne sont pas appliqués à l’intérieur des Etats. Rançonnements, brimades et autres pratiques policières sont enregistrés. Une situation qui entravent cette vision fédératrice de cet espace. Les témoignages  existent sur les tracasseries routières auxquelles sont assujetties bon nombres de citoyens tout au long de leur périple.

« Hum, enfin à destination ». Salmoco Assoguénon, la vingtaine, étudiant diplômé en journalisme au Centre d’enseignement des sciences et technique de l’information CESTI au Sénégal, lâche la phrase sans s’en rendre compte. Il poursuit : « la libre circulation des personnes et des biens, c’est donner l’opportunité aux personnes de circuler librement dans une région sans beaucoup de tracasseries policières. Mais en réalité, ce n’est pas le cas, c’est plutôt la catastrophe », ajoute-t-il. 

Il vient de descendre à la gare routière de Cotonou, capitale économique du Bénin en provenance du Sénégal. C’est une libération de son esprit qui pendant 4 jours vient d’être soumis à un fort stress d’un voyage sur une distance longue de plus de trois mille kilomètres par voie terrestre.

Les tracasseries

Crédit photo : Iwaria

Pour les habitués des routes dans la sous-région, notamment Dakar- Banjul, Dakar- Bamako et Dakar- Cotonou, le voyage est un calvaire.

Il y a assez de tracasserie sur la voie. En quittant le Sénégal, on n’en rencontre pas trop mais lorsqu’on entre au Mali, c’est là que les enquiquinements deviennent nombreux.

Salmoco Assoguénon, diplômé d’une licence en journalisme au Cesti Dakar

L’étudiant nous replonge dans cet itinéraire qu’il vient d’achever et qui lui laisse un goût amer.

Du Sénégal en passant par le Mali et le Burkina, nous payons à plus de 20 postes de police. Nous sortons tous du bus et formons un rang. Nous, les Béninois nous payons 2000 FCFA. Il y a d’autres nationalités qui payent plus. Il faut 70 000 franc pour faire le voyage de Dakar à Cotonou mais avec ces rançonnements, on débourse jusqu’à 100 000.

Salmoco Assoguénon, diplômé en journalisme au Cesti Dakar

Son ordre de circuler délivré par l’Université Cheikh Anta Diop et ses pièces d’identité ne l’épargnent pas des frais supplémentaires à chaque poste de contrôle de police.

Les conducteurs et transporteurs en provenance du Burkina Faso pour les pays de l’espace CEDEAO n’en diront pas moins. Ils sont aussi déçus que Salmoco des tracasseries routières auxquelles ils sont confrontés toutes les fois en voyageant. Yaya Bamba, l’un des conducteurs, ne cache pas son  mécontentement :

« Vraiment, en traversant le Burkina Faso, on passe par plusieurs postes de police. Normalement c’est à Sékandjouri qu’on nous dit de payer vingt-cinq mille, puis c’est tout. Mais en avançant, on rencontre d’autres policiers qui nous font payer des taxes, sans quoi nous sommes bloqués ».

Le triste constat des autorités en 2017

Plusieurs usagers empruntant les routes de l’espace CEDEAO ont plusieurs fois aussi dénoncé ces pratiques contraires aux textes de l’espace ouest-africain. La question revient avec insistance à telle enseigne que l’ancienne mandature du parlement de la CEDEAO s’est saisi du dossier. Elle a fait une tournée pour constater le phénomène lors d’une visite inopinée en 2017.

Le président d’alors, Moustapha Cissé Lo, accompagné d’une forte délégation de parlementaires, a surpris des policiers en train de rançonner des passagers d’un bus à la frontière du Niger. Toute chose que Moustapha Cissé Lo ne conçoit pas et regrette : 

Nous avons vu qu’il y a des entraves tarifaires et non tarifaires sur la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO. Il y a un protocole signé par tous les Etats mais on constate qu’il y a des problèmes. A plusieurs reprises, des personnes se sont plaintes des rançonnements et autres abus dont elles sont victimes en voyageant au niveau des corridors. Ce n’est pas acceptable et ces pratiques sont condamnables.

Moustapha Cissé Lo, Président de la quatrième législature du Parlement de la CEDEAO de 2016 à 2020

Où est donc le droit de la libre circulation ?

Plusieurs organisations non gouvernementales œuvrant pour le respect des droits de l’homme sont contre ces pratiques. Des pratiques qui violent les droits des usagers et ne prônent pas la paix et la solidarité.

« Si pour se rendre d’un pays à un autre de la CEDEAO, il faut se mettre à payer des frais informels à chaque frontière, ceci n’est que la non reconnaissance du droit du voyageur », déclare Alexis Abodohoui, spécialiste des questions d’intégration. Une situation qui peut engendrer des sentiments non patriotiques, des rébellions et des conflits armés. Les activités économiques au sein du regroupement seront également impactées négativement. Ce qui mènera progressivement à la pauvreté.

Perspectives

Pour remédier à cette situation qui perdure, Alexis Abodohoui, spécialiste en relations internationales propose :

L’Union Européenne a une bonne expérience de l’intégration économique. Les dirigeants de l’espace CEDEAO peuvent s’inspirer de ce modèle tout en tenant compte des réalités des pays africains. Il s’agit des secteur de l’éducation, la géolocalisation, les distances entre les pays et les frontières. 

Alexis Abodohoui, spécialiste des questions d’intégration et enseignant chercher à l’Université de Parakou au Bénin.

Les chefs d’Etat des pays de la CEDEAO doivent prendre des dispositions afin de mettre un terme à ces tracasseries. Celles-ci qui empêchent le développement, l’intégration proprement dite et la paix dans la sous-région. 

Les usagers des axes routiers de l’espace CEDEAO eux, continuent de subir des impairs. Ils espèrent qu’un jour, il y aura une solution pérenne. 

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