20 septembre 2020

Enfants talibés : les grands oubliés de la lutte contre la Covid-19

Les « enfants mendiants » ou « enfants talibés » déjà en situation de vulnérabilité constituent une catégorie d’enfants presque oubliés dans le cadre de la riposte à la crise sanitaire liée à la Covid-19. Ces derniers déjà victimes de négligence et souvent de rejet sont aujourd’hui l’une des catégories d’enfants les plus exposées au virus du corona au Bénin.

En effet, de par leur mobilité et les lieux fréquentés, sans protection, ils sont au contact de beaucoup de personnes et dans le non-respect des gestes barrières.  Ces enfants sont victimes de stigmatisation car on les considère comme de potentiels vecteurs de transmission de la maladie. Parmi les nombreuses initiatives dans le cadre de la prévention et de la riposte de la Covid-19, très peu d’actions ont été menées au profit de cette cible qui constitue des laissés-pour-compte.

Heureusement des initiatives, bien que petites, constituent des oasis dans cet océan de besoins qu’ont les enfants dits « talibés ». Au nombre des initiatives en leur faveur, nous avons pu noter celle de Dedras-ONG dans le département de l’Alibori au Nord-Est du Bénin.

La protection des enfants talibés, l’urgence sanitaire

Crédit photo Ernest Agbota

La crise sanitaire mondiale de la Covid-19, à laquelle personne n’était préparée, n’affecte pas que les personnes adultes, les entreprises ou l’économie. Elle a aussi des répercussions sur les enfants.  La crise a créé un besoin de protection des enfants au-delà des cadres institutionnels qui sont par exemple les écoles, garderies et ateliers. Ce besoin est aussi celui des enfants de la rue. Au nombre des êtres humains fragiles que l’on retrouve dans la rue, figurent les « enfants mendiants » ou « enfants talibés ».

Au Bénin, si les enfants vivant dans des cadres de vie adéquats reçoivent de temps à autre des appuis Covid-19 de bonnes volontés ou du gouvernement contre la propagation du virus, les enfants en situation de vulnérabilité comme les enfants talibés, très exposés à l’infection, sont oubliés. Mais des initiatives commencent à se mettre timidement en place pour protéger cette couche de la population fragile et très vulnérable.

A cet effet, nous avons pu suivre une action de Dedras-ONG en faveur de certains enfants talibés vivant dans le département de l’Alibori au Nord-Est du Bénin. Une action qui, selon le directeur de projet, est « une goutte d’eau dans la mer de la misère que vivent ces enfants ». Dedras-ONG plaide ainsi pour une amélioration des conditions de vie de cette catégorie d’enfants dans un contexte marqué par la pandémie.

Le constat écœurant

Selon un rapport de l’UNICEF France, 40 millions d’enfants à travers le monde sont des victimes collatérales de la Covid-19. Les enfants en situation de vulnérabilité comme les « enfants talibés » ou « enfants mendiants » font partie du lot. Déambulant à longueur de journée dans les rues et les alentours des gargotes, les feux tricolores, les marchés et les gares routières, ces « enfants talibés » sont facilement identifiables à leur bol en plastique qu’ils gardent entre leurs mains ou en bandoulière. Ils vont au contact de tous sans aucun moyen de protection pour quémander ou se contenter des restes des repas. Mais, ils sont rejetés souvent par la population en raison de leur vulnérabilité.

Ces enfants mendiants sont nombreux dans les communes de l’Alibori comme Malanville, Kandi, Karimama et Gogounou pour ne citer que celles-là.  D’après le responsable du bureau de Dedras-ONG à Kandi, ces enfants sont pour la plupart des enfants du Bénin, du Niger, du Nigéria et du Burkina Faso. Ils sont placés chez des maîtres coraniques pour recevoir un enseignement islamique. Mais face au besoin de prise en charge des enfants, ces maîtres coraniques sont obligés de les faire mendier dans la rue. Toute chose assimilable à l’exploitation économique.

Des conditions de vie difficiles

Des centaines d’« enfants talibés » vivent dans ces centres coraniques dans des conditions de surpopulation avec un accès limité ou inexistant aux systèmes de santé, d’eau et d’assainissement. Ils vivent souvent confinés dans des chambres étroites et surpeuplées où l’approvisionnement en eau, les installations sanitaires et les services de santé sont inadéquats. Leur état de vulnérabilité est aussi dû à un mauvais état nutritionnel. En résumé, leurs conditions et mode de vie sont favorables à la propagation rapide du coronavirus.

Malgré ce risque que courent les enfants depuis l’avènement de la pandémie et son apparition en mars 2020 au Bénin, les enfants talibés sont sans protection. Ils sont rejetés par la grande masse. Aucune action spécifique de la part des pouvoirs publics n’est à noter pour leur venir en aide.

Si aucun effort n’est fait pour atténuer l’impact de la pandémie, nous nous attendons à voir une énorme augmentation de la souffrance de ces enfants dans les mois à venir.

Dedras-ONG à la rescousse

Crédit photo Dedras-ONG

Face à ces besoins, Dedras-ONG, avec l’appui financier de son Partenaire Suédois ERIKS, a dû venir au secours de ces enfants. Intervenant dans les secteurs de l’éducation et de la protection des enfants, l’ONG apporte des aides humanitaires à cette couche. Cet appui impacte plus d’une centaine d’enfants talibés dans les communes de Kandi, Gogounou et Karimama du département de l’Alibori soit dans huit (8) arrondissements au total.

Ce choix de Dedras-ONG d’accompagner ces enfants en situation de vulnérabilité n’est pas anodin. Au regard de leur âge variant entre 06 et 17 ans, ces enfants sont une cible très exposée. Ils sont aussi au contact des conducteurs, transporteurs et voyageurs du corridor Bénin-Niger et Bénin-Nigéria allant vers les pays de l’hinterland.

Regroupées souvent par dizaine, ces âmes innocentes n’ont aucune connaissance de la Covid-19 et des mesures barrières. Dans leur aller et retour, ils peuvent facilement contracter le mal.

La mobilité de ces enfants fait que le commun des mortels les considère comme des vecteurs de la maladie. Il est nécessaire que leur protection et leur bien-être fassent la préoccupation de tous. Ainsi, on pourra par ces actions contribuer à la lutte contre la propagation de la pandémie. 

Une goutte d’eau dans la mer de la misère

Crédit photo dedras-ONG

Sur 757 « enfants talibés » identifiés pour 8 arrondissements dans l’Alibori, l’un des départements du Nord-Est du Bénin, seulement 150 enfants talibés des arrondissements de (Sonsoro, Donwari et Sam) à Kandi ; (Sori, Bagou et Ouara) à Gogounou ; (Kompa et Monsey) à Karimama bénéficient de kits sanitaires et de vivres.  

Louis Nanako, directeur de projet à Dedras ONG et responsable du bureau de zone de Kandi pour les projets liés à la protection des enfants, lève un coin de voile sur les actions menées dans ce sens.

Le responsable du bureau de zone de Dedras à Kandi et ses collaborateurs ont parcouru les localités citées pour doter plus de 150 enfants en savons et vivres. Pour lui, si rien n’est fait dans l’urgence, la pandémie de la Covid-19 aura un impact irréversible sur la vie de ces enfants.

Crédit Photo Dedras-ONG
Louis Nanako, responsable du bureau de zone de Dedras-ONG à Kandi

« La crise liée à la Covid-19 a surpris plus d’un. Elle a eu un impact négatif sur la protection des enfants en l’occurrence les enfants talibés ».

Louis Nanako, responsable du bureau de zone de Dedras-ONG à Kandi

La privation du droit à l’éducation des enfants avec l’interruption des activités pédagogiques et la difficulté dans les foyers à subvenir aux besoins nutritionnels, le manque d’aide à l’endroit des enfants vulnérables sont entre autres, les impacts énumérés par Louis Nanako. Selon lui, les plus touchés par la crise sont les enfants en situation de vulnérabilité dont « les enfants mendiants » ou « enfants talibés ».

« Les conditions de vie de ces enfants entassés par dizaine ou quinzaine dans une chambre auprès des maîtres coraniques ne facilitent pas le respect des mesures barrières. Le manque d’hygiène qui caractérise la vie de ces enfants fait d’eux des cibles potentielles pour la propagation de la maladie.

En plus, leur mode de vie qui consiste à mendier au niveau des gares routières, gargotes, marchés et restaurants, les expose facilement à la Covid-19. Face à ce besoin crucial de protection de ces enfants dits « talibés » déjà en situation de vulnérabilité, Dedras-ONG a dû réagir.  Notre appui a consisté à leur faire don de kits  »wash » composés de savons, d’eau de javel, des détergents (Omo, bidons de savon liquide) afin de permettre aux enfants d’avoir de quoi assurer l’hygiène corporelle.

L’autre appui est constitué de pâtes alimentaires, de sacs de riz, de sel et d’huile. Le but est d’amener les enfants à rester chez eux, d’avoir également de quoi se nourrir et d’étudier en toute sérénité afin de les empêcher d’aller dans les rues et autres lieux publics pour quémander et s’exposer ainsi à la maladie ».

Louis Nanako, responsable du bureau de zone de Dedras-ONG à Kandi

Dedras appuie aussi 320 ménages vulnérables en kits wash

Des ménages et familles des maîtres coraniques bénéficient également de l’accompagnement de Dedras-ONG. Ils reçoivent des gels hydro alcooliques, savons liquides et autres kits de lavage des mains. Dedras-ONG a formé par ailleurs ces ménages à la fabrication des dispositifs de lavage de mains appelés « tippi-tap » afin d’habituer tout le monde en particulier les enfants à la pratique du lavage régulier des mains.

Plusieurs couches vulnérables sensibilisées

Malgré les difficultés de mobilité dues à la pandémie, l’ONG a organisé des séances de sensibilisation à l’intention de ces « enfants talibés », des maîtres coraniques et des différents ménages visités dans les 8 arrondissements sillonnés. Ces sensibilisations faites dans le respect strict des gestes barrières, ont porté sur les mesures de prévention contre le coronavirus.

Louis Nanako et son équipe ont informé les populations des risques liés à la Covid-19; comment se protéger et protéger les familles. Un accent est mis sur l’importance de veiller à l’application effective des gestes barrières par les enfants.

Louis Nanako, premier responsable de Dedras dans l’Alibori, a déclaré :

« Le coronavirus se transmet facilement et est mortel. Le virus n’épargne personne. Enfants et adultes en meurent. Le Bénin a enregistré déjà 40 décès. Le virus a affecté les enfants de nombreuses façons dans plusieurs pays du monde. Ici au Bénin, il faudrait qu’on prenne nos précautions. Prévenir vaut mieux que guérir. Chers parents et maîtres coraniques, maintenez les enfants à la maison par ces temps de Covid-19. Qu’ils y restent tout en respectant les gestes barrières comme le port obligatoire du masque, le lavage régulier des mains à l’eau et au savon, éviter de se serrer les mains et les embrassades, etc ».

Louis Nanako, directeur de projet à Dedras-ONG

Impressions et témoignages des enfants

Crédit photo Dedras-ONG

Depuis la survenue du coronavirus au Bénin, Dedras fait partie des premières organisations menant des actions humanitaires à l’endroit des « enfants talibés » et de leur entourage. Touchés par le geste, enfants vulnérables et maîtres coraniques n’ont que des mots de remerciements à l’endroit de Dedras-ONG. Ils saluent le geste salvateur du donateur. Ils promettent à l’occasion de faire du respect des gestes barrières une habitude afin de faire blocus à la pandémie.

Crédit photo Dedras-ONG
I. M, 07 ans, enfant talibé à Kandi

« Je suis très heureux de ces dons qu’on vient de nous faire. C’est d’ailleurs le premier don généreux qu’on reçoit depuis qu’on entend parler de la pandémie. Affamés, nous nous promenons partout pour aller chercher les restes de nourriture sans savoir qu’on s’exposait à la maladie du coronavirus qu’on banalisait complètement. Les gens nous renvoyaient et nous traitaient de porteurs de coronavirus. Merci à Dedras-ONG pour cette visite qui nous va droit au cœur. On sent que certains nous portent dans leur cœur. Nous promettons de rester à la maison pour nous protéger et protéger les autres de la maladie ».

I. M, 07 ans, enfant talibé à Kandi
Crédit photo Dedras-ONG
S. O, 9 ans, enfant talibé à Gogounou

« Moi j’entendais parler du coronavirus, mais je n’y croyais pas. Je n’ai jamais compris aussi pourquoi certaines personnes s’éloignaient de nous en nous appelant corona quand on essayait de s’approcher d’elles. Mais avec le passage de la délégation de Dedras-ONG, tout est enfin clair et je crois maintenant à l’existence de la maladie. On était stigmatisé mais avec l’arrivée du coronavirus, c’est pire.

Nous remercions Dedras de nous avoir considéré en venant vers nous pendant que d’autres nous évitent.  Je promets de respecter les mesures barrières et de bien me laver les mains avant et après chaque repas et à la sortie des toilettes. Merci aussi pour les vivres, je mangerai maintenant à ma fin. Je demande à Dedras de venir nous visiter régulièrement ».

S. O, 9 ans, enfant talibé à Gogounou
Crédit photo Dedras-ONG
A. B, 11 ans, enfant talibé à Karimama

« On mettait notre vie et celle des autres en danger sans le savoir en déambulant pour avoir de la nourriture. Mais Dedras nous a informés que le coronavirus se transmet facilement et se retrouve dans les milieux sales. Avec ses savons et eau de javel, nous nous laverons maintenant proprement, nettoierons notre cadre de vie. Tous ces vivres que nous avons reçus, nous promettrons de tenir pendant un bon moment. Que dieu bénisse Dedras-ONG qui a pensé à nous ».

A. B, 11 ans enfant talibé à Karimama

Les leaders religieux ont également été entretenus sur l’urgence d’éviter d’envoyer les enfants dans les lieux publics pour mendier. Ils se sont engagés à veiller à leur retrait de la rue afin de ne pas les exposer au virus.

L’appel de Louis Nanako aux décideurs et aux leaders religieux

Chaque enfant mérite de vivre dans un cadre familial plaisant et respectueux de ces droits. Nous implorons le gouvernement à profiter de cette crise sanitaire pour retirer définitivement les « enfants talibés » ou « mendiants » des rues en leur offrant un cadre plus propice pour exercer leur apprentissage religieux. L’idéal est que les autorités puissent donner d’autres opportunités à ces enfants en termes de projet de vie.

Ceux qui ont la possibilité d’aller à l’école, qu’on leur donne la chance de continuer leurs études tout en apprenant leurs enseignements religieux au lieu d’être exposés à la maladie et à des conditions de vie atroces.

Louis Nanako, responsable du bureau de zone de Dedras-ONG à Kandi

D’autres bonnes volontés et autres ONG œuvrant dans la protection de l’enfance sont aussi invitées à venir au secours de ces âmes innocentes.

« Le phénomène des enfants talibés doit être éradiqué ; mobilisons-nous pour mettre fin à cette nouvelle forme de traite humaine ».

Louis Nanako, responsable du bureau de zone de Dedras-ONG à Kandi

Les « enfants talibés » ou « enfants mendiants » ont les mêmes droits que tous les autres enfants. Ils méritent qu’on leur porte une attention particulière au regard de leur vulnérabilité. C’est le combat que mène Dedras-ONG depuis des décennies.

Il convient de préciser que Dedras-ONG est une Organisation chrétienne innovatrice de développement qui promeut la justice sociale et contribue à rendre entreprenantes les communautés défavorisées pour la réalisation de leur bien-être intégral d’ici à 2022. L’organisation est créée en 1979 mais est devenue une ONG en 2002.

Son objectif est de contribuer à la mission intégrale de l’église qui est de réduire des souffrances dans le monde, éliminer l’extrême pauvreté et combattre l’injustice. Ladite organisation intervient dans l’Alibori, l’un des départements du Nord du Bénin depuis 2012 dans les secteurs de l’éducation et de la protection des enfants.

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